Rencontre avec Madame Brulant, une enfant cachée de la 2nd Guerre Mondiale
5 avril 2024 2024-04-05 15:45Rencontre avec Madame Brulant, une enfant cachée de la 2nd Guerre Mondiale
Dans le cadre de l’EMC et de l’étude du témoignage de Ginette Kolinka, Retour à Birkenau, en cours de français, la classe de seconde corail s’est lancée dans le projet Convoi 77 : il s’agit de retracer la biographie de personnes déportées dans ce dernier grand convoi de déportation de la Seconde Guerre mondiale, parti le 31 juillet 1944 de Drancy. Ainsi, nous contribuons à conserver leur mémoire. Par ce travail, nous voulons ne pas oublier le passé pour éviter, dans l’avenir, de reproduire les mêmes horreurs.
Ce samedi 2 mars 2024, madame Liliane Brulant, une enfant juive cachée à la campagne durant la Seconde Guerre mondiale, nous a gentiment accueillis chez elle pour témoigner de ses souvenirs de famille. Madame Brulant est la nièce de Berthe Steinschneider, sur la biographie de qui travaille la moitié de la classe.
Après s’être installés autour d’une table et avoir sorti les dossiers de familles, elle nous raconte dans les moindres détails sa vie durant la guerre, ainsi que celle de sa famille.
Une famille aimante séparée
Mme Brulant est née le 11 juillet 1940 d’un père juif d’origine lituanienne, Robert (Ruben – qui a francisé son nom) Mazuras, arrivé en France en 1928 et d’une mère juive française, Paulette Steinschneider, dont les parents venaient de Pologne et avaient demandé la naturalisation pour toute la famille en 1926. Robert est artisan joaillier. Il a épousé Paulette en 1934 après que leurs mères les ont fait se rencontrer.
Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, son père s’est engagé volontairement – comme la plupart des hommes de la famille non-français, dans un « régiment ficelle »: le 22ème régiment de marche de volontaires étrangers, avec lequel il est envoyé en première ligne avant d’être fait prisonnier par les Allemands le 6 juin 1940. Il est alors envoyé dans un camp de prisonnier de guerre, le Stalag 17A, à Kaisersteinbruch en Autriche.
Pendant ce temps, les Allemands arrivent à Paris et le reste de la famille suit le mouvement d’exode vers le sud. Ils arrivent à Port-Sainte-Marie dans le Lot-et-Garonne où Liliane voit le jour dans un hospice pour vieillards. Ils reviennent cependant à Paris, 51 rue des Francs-Bourgeois dans le Marais, pour avoir quelques chances de recevoir des nouvelles de Robert, dont on ne sait pas ce qu’il est devenu. Ce n’est qu’en novembre que la Croix Rouge confirme qu’il est vivant tout en affirmant de pas avoir d’information sur sa localisation.
Début des restrictions….
A Paris, la famille doit faire face aux mesures antijuives : faire les courses entre 11h et 12h avec des tickets de rationnement (créneau horaire où il ne reste plus grand-chose dans les rayons), voyager dans le dernier wagon du métro, interdiction d’aller dans les parcs, au cinéma, plus de métiers en relation avec le public et bien évidemment le port obligatoire de l’étoile jaune dès 1942. Ce signe distinctif qui conduit Paulette à demander que Jean, l’aîné, ne reçoive plus de récompenses pour ses exploits scolaires car il ne peut se présenter aux remises de prix. La famille subit, comme toute la population française, la pénurie de biens de première nécessité et le grand froid de l’hiver 1940-41. Elle bénéficie cependant de l’aide discrète de madame Pierre, la femme de ménage, qui prend place pour Paulette dans les files d’attentes de ravitaillement. Un exemple de résistance cachée.
Au printemps 1941, lors de la rafle du billet vert, son oncle Maurice, l’époux de Marinette, la sœur de Paulette, et un cousin éloigné sont convoqués et se rendent au commissariat. Motif de l’arrestation : « en surnombre dans l’économie nationale »! Malheureusement, ils sont envoyés au camp de Beaune-la-Rolande puis à Auschwitz. Mais ils parviennent miraculeusement à s’en sortir après trois longues années de déportation.
Après avoir vu que la police arrêtait également les enfants lors de la rafle du Vel d’hiv, le 16 juillet 1942, la mère de Liliane décide de cacher ses enfants, non sans avoir pris le risque de tenter d’apporter ses médicaments à sa belle-sœur Rose, arrêtée avec son mari Henri et son fils Daniel (6 ans).
Des rencontres qui sauvent des vies
En septembre 1941, la famille était partie en Bretagne en vacances grâce à une association de femmes de prisonniers, au château des Renardières, près de Fougères. Là-bas, Paulette s’était liée d’amitié avec madame Angèle Breton et madame Marcelle Galligazon, deux autres épouses de militaires. Elle décide donc de confier la petite Liliane, deux ans à peine, à Angèle Breton qui vit à Fougères. C’est madame Galligazon qui la conduit à bon port, la faisant passer pour sa propre fille. Liliane reçoit alors une éducation religieuse catholique pour donner le change (les trois enfants ont été baptisés grâce à l’aide active de Monsieur Labatut et sa compagne madame Fonvieille, en espérant ainsi les faire échapper à la persécution) et est présentée comme une nièce de la famille.
Jean et Yvette, les grands frère et sœur de Liliane, ont été confiés, contre rémunération, à une famille en Vendée, à la Blaire. Ils y sont conduits par Paulette et monsieur Labatut, grâce au livret de famille de madame Galligazon. Mais si Liliane a été traitée par madame Breton comme sa fille, son frère et sa sœur ont eu beaucoup moins de chance.
Des retrouvailles surprises
De son coté, en novembre 1942, Robert, le père de Liliane, est libéré du Stalag grâce à son statut de père de famille nombreuse dans le cadre de la Relève (un prisonnier de guerre devait être libéré pour trois travailleurs volontaires envoyés en Allemagne). Il décide de rentrer chez lui sans s’annoncer, pour l’effet de surprise. Sa femme lui dit alors de vite partir car le concierge le dénoncerait. En effet, si Paulette a été recensée avec ses enfants, comme la plupart des juifs, Robert ne l’a pas été puisqu’il était prisonnier; et comme ancien prisonnier de guerre, il risque moins la persécution. Il part donc s’installer dans le XXème arrondissement, dans une cache trouvée par monsieur Labatut et madame Fonvieille, où il finit la guerre en trouvant quelques travaux de joaillerie à faire pour compléter sa solde d’ancien combattant. Quant à Paulette, elle continue à vivre dans son appartement et se procure de faux papiers pour aller voir Robert en se faisant passer pour sa petite amie.
Apres la libération de Paris, Robert décide d’aller vite chercher la petite Liliane, toujours en Bretagne, à bicyclette. C’est ainsi que madame Brulant rentre à Paris, assise dans un petit panier sur le devant de la bicyclette. « Je ne pouvais m’empêcher de gigoter et nous sommes tombés dans un fossé. Je riais mais mon père pas du tout ; nous avons donc finalement fait du stop avec des camions pour rentrer ». Par la suite, Yvette et Jean reviennent aussi à Paris. Ils sont réunis en octobre 1944, à la grande émotion de Paulette, dont se souvient encore sa fille.
Epilogue
Madame Brulant a fait reconnaitre comme Justes parmi les nations madame Breton, madame Galligazon ainsi que son parrain et sa marraine : monsieur Labatut et sa compagne, madame Marie-Louise Fonvieille.
Sur les vingt-sept membres de la famille de Mme Brulant déportés, trois sont revenus : l’oncle Maurice, le cousin éloigné et Berthe Steinschneider, sa tante.
Pour notre part, après de bons rafraichissement, nous avons dû quitter madame Brulant pour rentrer à Paris et, ainsi, mettre fin à cette journée très enrichissante qui nous a permis de toucher du doigt d’un peu plus près ce qu’ont pu vivre les juifs de France durant la Deuxième Guerre mondiale.
Rédaction collective par Gabrielle Taithe, Daphné Orzac-Koenig ; avec l’aimable relecture de madame Brulant